Depuis plusieurs semaines il avait décidé de se mettre à la musique ! Sauf qu’il découvrit que c’était plus facile à dire qu’à faire. En premier lieu il choisit la guitare, car jouer de la guitare c’est cool ! Sauf qu’il ne savait pas lui, que sa femme était traumatisée des guitares depuis qu’enfant elle s’était rendue à un concert de Johnny Hallyday et que le chanteur, en brisant sa guitare à la fin lui a envoyé un morceau en pleine tête. C’était de là que venait sa cicatrice alors… Le piano s’est avéré une catastrophe. Ses doigts boudinés n’arrivaient que rarement à toucher une seule note à la fois. Et puis il tenta la batterie, c’était vraiment chouette ! Il avait passé des jours à s’amuser dessus, pour les voisins par contre c’était beaucoup moins amusant. Il n’avait clairement pas assez de souffle pour la trompette, il avait failli s’évanouir ! Et il réussit à se mordre la langue plusieurs fois en jouant de l’harmonica, plus question de recommencer. Alors qu’il se demandait quel instrument essayer, sa femme voulut le forcer à se mettre à l’accordéon, mais franchement est ce qu’elle a vu son ventre ? Elle lui acheta finalement une flute. Sérieusement c’est riquiqui une flute ! Il n’arriva pas à en jouer, ayant peur qu’à chaque pression de ses doigts elle ne se brise. Quant au xylophone, il avait l’air ridicule avec … bon il n’aurait peut-être pas dû prendre la version multicolore pour enfants avec les têtes d’animaux dessus. Il essaya tous les instruments jusqu’au jour où il pensa avoir épuisé tous les choix. Le vendeur, à court d’idées décida de lui proposer le seul instrument qu’il lui restait. Il revint chez lui avec, et sa femme éclata de rire quand elle le vit débarquer un triangle dans la main. Là il ne pensait pas se rater ! Et pourtant.


Deux jours plus tard et tous les instruments rendus, il s’était trouvé un nouveau hobby ! Il va se mettre à la cuisine…

Ce jour était enfin arrivé. Il les avait trouvées alors qu'il cherchait une toute autre espèce de plantes. Les fameuses Strelitzia Reginae. Leurs couleurs l'éblouissaient. Le jeune homme était émerveillé et excité à l'idée de les voir juste là, sous ses yeux, à portée de main. Il resta un long moment, immobile, à contempler l'étendue de fleurs qui se couchaient au gré des rafales de vent. Puis il se ressaisit : il devait les prendre en photos et extraire quelques-unes de ces Strelitzia Reginae pour les étudier dans son laboratoire. Ce scientifique adorait les végétaux, mais lorsqu'il s'agissait de les priver de leur environnement, il regrettait souvent d'avoir choisi un tel métier. Il délibérait alors et en venait toujours à la même conclusion : il fallait savoir faire des sacrifices au profit du progrès. Cela le désolait sincèrement mais il se devait d'avancer. Alors qu'il commençait à se mettre au travail, une vague de paix l'assaillit. Au début, cette étrange émotion l'effraya et il tenta de s'en débarrasser. En vain. Il lui semblait que cet instant de plénitude s'était emparé de lui. Au fur et à mesure, il s'y habitua et se laissa emporter. Un doux murmure s'éleva des profondeurs de la forêt. Il tendit l'oreille et perçut un chant infiniment plus apaisant que tout ce qu'il avait connu jusqu'alors. Les notes jouées s'accentuèrent et devenaient de plus en plus distinctes. Elles s'approchaient délicatement, portées par une douce brise. Il ne comprenait aucun mot ; cette langue paraissait antique et insaisissable, mais il était convaincu que cette chanson lui envoyait des ondes positives. Il se laissa entraîner, ferma les yeux et s'endormit dans cet état de sérénité absolu...

La gouttelette débuta sa descente, glissa sur la feuille et se tint à son extrémité avant de s'écraser sur le front de l'homme étendu à même le sol. Il se réveilla à son contact et ce qu'il vit lui coupa le souffle. Non loin de là, une jeune femme majestueusement grande et élancée touchait un sapin. Un Abies, pensa-t-il. Il entendit le même chant qui lui avait donné un instant de bonheur extrême. Il reporta son attention sur la jeune femme. A demi-nue, elle portait un haut d'un bleu écaillé sertie de petits boutons qui dissimulait ses épaules et laissait entrevoir sa poitrine plantureuse. Une fine toile de tissu couvrait son nombril et descendait jusqu'à mi-cuisses. Elle était pieds nus. Il ne pouvait détacher ses yeux de ce frêle corps aux courbes si parfaites. La voix s'éteignit et elle le toisa du regard. Il leva la tête avant de rougir et de détourner les yeux. Ses cheveux blancs comme neige et ses yeux noirs  perçants lui donnaient un air demi-ange demi-démon. Le jeune homme brisa le silence :
-Etes-vous... êtes-vous seulement humaine ? bredouilla-t-il.
La jeune femme pencha la tête. Elle s'approcha, l'observa sans aucune gêne et le renifla.
Hamadryade. Je suis une hamadryade.
L'homme crut rêver : il entendait sa voix autoritaire dans son esprit. Elle le fixait, imperturbable.
-Je suis Josh. Et vous, quel est votre nom ?
Imaedën. Ce nom résonna dans son esprit.
-Imaedën, souffla Josh. Est-ce vous que j'entendais chanter ?
En effet, ça l'était.
-Votre voix est empreinte de douceur et de chaleur. En y repensant, des picotements surviennent et me font frémir.
Je chante pour rassurer mes protégés. L'esprit de la forêt doit régner ici. Mon chant a le don de création.
A ces mots, sa voix surplomba tous les sons extérieurs. Un monticule de terre s'éleva soudain. Plus la voix devenait forte, plus le monticule grandissait et se façonnait selon les notes et les intensités d'Imaedën. D'autre part, des arbustes naissaient, des champs se creusaient pour laisser la place à divers êtres vivants. Lorsque Imaedën eut fini, elle s'arrêta et le paysage s'était métamorphosé.
-Magnifique... s'exclama Josh, d'une voix pleine d'admiration.
Il se tourna vers le visage d'Imaedën, empreint d'une immense tristesse.
Jeune humain... Josh, écoute-moi. J'ai le devoir de protéger mes enfants, mais je ne peux rien contre l'évolution toujours plus grande des bûcherons qui n'épargnent aucune de nos forêts. Aucun de votre espèce ne se soucie de nous autres. Même toi, Josh. Je vois en toi : tu es animé par de mauvaises intentions. Ton seul désir est de te servir de moi. Tu comptais arracher un morceau de l'arbre auquel je suis relié afin de comprendre le fonctionnement de mon ADN. Sache, malheureux scientifique, que nous ne venons pas de ce monde et que nous possédons un autre élément, plus extraordinaire encore que votre misérable molécule du vivant. Votre espèce est on ne peut plus souillée. C'est pourquoi nous souhaitons retourner au plus vite chez nous et quitter cette terre corrompue. Je vais te renvoyer dans ton milieu de vie. Tu te souviendras juste d'un pénible rêve et tu reprendras ton quotidien. Je suis terriblement attristée par votre comportement à tous... Je croyais avoir rencontré un humain doté de plus d'intelligence que la plupart d'entre vous...
Imaedën affichait désormais un sourire triste, presque compatissant envers cette espèce qu'elle jugeait pourtant digne d'intérêt, quand son image disparut et sa voix se brisa.

Les rayons du soleil pénétrèrent dans la petite pièce et réveillèrent Josh. Il avait un mal de crâne insupportable. Il réfléchit mais ne se souvint de rien, hormis un petit air de musique envoûtant.
-J'aimerais la réécouter... Je ne sais pourquoi, mais j'ai l'impression que cette mélodie prenait tout son sens dans mon rêve...