Elle avait réussi à fuguer de l’hôpital sans que personne ne la remarque. Une fois la grande porte passée elle resta plantée sans savoir où aller et finit par prendre la direction du parc. Elle avait passé des heures chaque jour à jouer dans ce parc et voulait au moins y aller une dernière fois. Les médecins avaient mis des mois à annoncer à ses parents ce qu’elle savait déjà. Elle allait mourir. Elle avait senti son corps lâcher petit à petit et son cancer gagner le terrain perdu. Quitte à mourir pourquoi rester enfermée dans une chambre d’hôpital ? Elle avait décidé de s’habiller, chose qu’elle n’a pas faite depuis des mois et de sortir prendre l’air. C’est étrange comment une fois qu’on ne porte plus de vêtements d’hôpitaux, le personnel ne nous remarque pas.

Aller à ce parc, une chose de plus qu’elle ne regrettera pas. Même si elle essayait de bien le prendre, elle avait aussi ses regrets. Le plus gros était sûrement de ne pas connaître la fin de sa saga préférée. Elle aimait lire. La télé c’était broyant comme l’hôpital. Les livres eux nous emportent dans un monde imaginaire avec silence. On lui avait offert ce roman : La Gardienne des terres - volume 1, écrit par Lucas Nils. Elle l’avait tant aimé qu’elle demanda à sa mère d’acheter le deuxième. Le troisième et dernier de la trilogie sortait à la fin de l’année, mais elle ne serait sûrement plus de ce monde.

Elle arriva au parc. Il était bondé et elle resta debout à regarder les enfants jouer dans le bac à sable et essayer d’aller toujours plus haut sur les balançoires. Elle aussi avait fait ça, il y a ce qui lui semblait être une éternité. Elle regarda un garçon grimper sur un petit muret d’escalade. C’était son jeu préféré mais elle n’était même pas sûre d’arriver à s’accrocher maintenant.
Elle commença à se sentir lourde. Il fallait qu’elle s’asseye, cette marche l’avait épuisée. Elle regarda autour d’elle et la seule place libre était sur un banc à côté d’un homme qui griffonnait dans un carnet. Elle prit la place libre et l’homme à côté d’elle ne semblait même pas remarquer sa présence. Elle resta ainsi à regarder autour d’elle sans bouger. Elle n’avait plus envie de bouger. Ce fut la voix de l’homme à côté d’elle qui la sortit de sa rêverie.
-Petite ? J’ai cru que tu étais morte à ne pas bouger comme ça.
Elle ne savait pas trop quoi lui répondre. Elle se contenta de lui dire qu’elle était bien vivante et qu’elle allait bien.
-Tu es sûre ? Tu es toute pâle.
-Je suis toujours pâle, répliqua-t-elle. Et comme ressentant le besoin de s’expliquer au regard interrogatif de l’homme elle ajouta : - J’ai un cancer.
L’homme sembla surpris et ne dit rien durant une minute avant de reprendre
-Ok, tu es spéciale comme gamine. Et c’est quoi ton nom ? Tu as quel âge d’ailleurs ?
-Je m’appelle Léa. Et je suis pas une gamine j’ai treize ans. Et vous alors ?
-Moi je m’appelle Luc et je suis un vieux, j’ai 37 ans. Mais si tu as un cancer, tu ne devrais pas plutôt être à l’hôpital avec tes parents ?
Léa lui expliqua qu’elle venait justement de s’enfuir de l’hôpital et ses raisons, elle ne savait pas si elle pouvait lui faire confiance mais il fallait qu’elle parle à quelqu’un.
-Ca fait une chose en plus de réalisée. Tu comptes fuguer pour réaliser le reste aussi ?
-Non, ce que je veux le plus est impossible, dit-elle. Et elle lui raconta aussi son regret de ne pas lire le dernier tome de La Gardienne des terres. L’homme lui, resta silencieux durant son récit et le silence s’étira des minutes après qu’elle eut fini. Puis l’homme bougea et fouilla dans son cartable pour en sortir des feuilles reliées par une chemise fermée.
-Je suis aussi un écrivain. Je sais que ce n’est pas ce que tu désirais, mais il s’agit du premier jet de ce que j’écris en ce moment. Prends-le, ajouta-t-il.
Avec étonnement elle prit le manuscrit en murmurant un merci à l’homme. Celui-ci se leva du banc et mit son cartable sur le dos.
-Tu devrais retourner à l’hôpital Léa. Et dire à tes parents que tu ne veux plus rester enfermée.
Et sur ces derniers mots il partit les mains dans les poches. Léa resta à le regarder s’éloigner et décida de rentrer à l’hôpital, la chemise remplie de feuilles dans les mains. A mi-chemin elle se rendit compte qu’elle n’avait même pas jeté un œil au manuscrit de l’homme et décida d’ouvrir la chemise pour lire les premières feuilles. Le titre était écrit en gros sur la toute première page et elle sentit des larmes lui piquer les yeux. Sa bouche restée entrouverte ne sortait aucun son.

C’était impossible.

La Gardienne des terres, volume 3. Par Lucas Nils . Voilà ce qui était écrit en majuscules au centre de la première page. Elle faillit tout lâcher avant de resserrer compulsivement des bras autour du paquet. Les larmes dévalèrent ses joues et elle s’effondra à genoux en plein milieu du trottoir, le corps secoué de sanglots. Un étau semblait s’être desserré de son cœur et une euphorie la gagnait en même temps. Elle le lira et elle saura la fin.

_____

18 ans plus tard. Le prix du meilleur roman jeunesse est attribué à l’auteur de Destinée. Lucas Nils l’avait écrit sur un coup de tête, et ce roman lui rapportait le premier prix de sa carrière. Il répondit aux questions qui lui sont posées machinalement, jusqu’à ce qu’une n’avive réellement son intérêt. « D’où vous est venue l’idée de ce roman ? » A celle-ci il répondit :

-Il y a longtemps j’ai rencontré une jeune fille atteinte d’un cancer. Elle m’a marqué. Sa détermination et sa force de caractère m’ont surpris. J’ai décidé de créer mon héroïne à partir de ce souvenir. Et j’espère que chaque personne qui lira ce livre y trouvera la force de réaliser ses désirs pour ne plus avoir de regrets.

Michael Jefferson s'acharnait sur son clavier d'ordinateur. Pas de temps à perdre, pensait-il. Dépêche-toi, dépêche-toi ! Un cri strident retentit au loin. Michael s'interrompit et jeta un coup d'oeil derrière lui : la salle de contrôle tenait bon. S'ensuivit alors un autre cri, plus perçant et plus terrible que le premier, accompagné d'une secousse qui, bien qu'à des kilomètres de là, l'atteignit. Il serra les dents et retourna à son écran numérique, les mains moites de sueur. Pas question d'abandonner maintenant. Ses mains tremblaient en repensant à la surprise qui les avait attendus sur Xurnaos...

L'opération Xurnaos 0.1 avait été adoptée par la plupart des pays du monde entier. Quoi de plus naturel ? Après tout, cela faisait plus d'un demi-siècle que l'humanité était parvenue à tirer profit de toute sorte de planètes. Jusqu'à présent, aucune d'elles ne présentait une quelconque forme de vie. Les astronautes envoyés étaient tout de même équipés en armement au cas où une menace faisait irruption. Seulement, le coût de l'artillerie lourde et des dispositifs adéquats en milieu galactique étant élevé, les autorités avaient décidé de s'en passer. D'autant qu'il n'y avait jamais eu de rencontres fâcheuses et aucun combat n'avait dû être mené. Oui, la plupart du temps...
Lorsque l'équipage de Michael avait débarqué sur la planète nouvellement découverte, tous les membres ressentirent le froid extrême dont été imprégnée l'atmosphère. Les récentes études portant sur Xurnaos avaient révélé ses basses températures perpétuelles. Ils étaient partis ici en connaissance de cause. En théorie, les températures se situaient entre -50°C et -35°C. Munis de leurs scaphandres adaptés à la fraîcheur, tous se lancèrent des regards interrogatifs. Personne n'osait prononcer la question qui leur brûlait les lèvres à tous... Ce fut Laura, directrice des opérations, qui se lança la première :
-Vous ne trouvez pas qu'il fait anormalement froid ?
En réponse, plusieurs hochèrent la tête.
-Nick, reprit-elle, qu'indique le thermomètre ?
Le dénommé Nick sortit le thermomètre d'une boîte posée à ses pieds et blêmit.
-Alors ?
- -96°C, annonça-t-il.
Un silence pesant s'installa au beau milieu de la petite assemblée.
-Bon, une erreur de la part de nos congénères..., soupira-t-elle, qu'importe, cela ne change en rien nos plans.
Laura dévisagea les visages de ses compagnons et remarqua que tous n'étaient pas très enchantés
par la nouvelle. Ils devaient penser que cela n'inaugurait rien de bon. Elle se dépêcha de donner ses ordres et redoubla de vigilance pour ne pas montrer ses craintes face à ses subordonnés.
-Effectuez vos prélèvement et notez le plus d'informations que vous pouvez regrouper concernant cette planète. Si jamais vous vous sentez pétrifiés par ce froid glacial, regagnez le vaisseau. Je vous autorise à prendre une pause uniquement pour ce motif. Sachez toutefois que ce sont juste des nombres et que par conséquent, il n'est pas impossible de pass..
Elle fut interrompue par un vif tremblement qui lui fit perdre l'équilibre. Un bruit sourd résonna. Laura ne fut pas la seule victime de ce tremblement, tous ses coéquipiers furent propulsés ou blessés par sa force considérable. Le bruit se fit entendre de plus en plus distinctement.. et ils le virent. Une énorme créature qui surplombait leur vaisseau. Elle ressemblait à un homme mais lorsqu'on y regardait de plus près, on pouvait affirmer que hormis sa physionomie, elle n'avait rien d'humain. Tout son corps était recouvert de glace - ou était-il fait de glace ? Nul ne pouvait le savoir réellement. Son visage ne comportait pas d'oeil. Du moins, c'est ce qu'en déduisirent les hommes qui furent témoins de cette apparition. On ne distinguait en tout cas aucune orbite.
-Un géant de glace ! s'exclama quelqu'un.
-Il doit mesurer plus de trente mètres !
-Regardez ce qu'il s'apprête à faire, fit une voix désespérée.
Le géant s'empara du vaisseau sans la moindre difficulté et le balança derrière lui. Tous restèrent bouche bée devant ce spectacle invraisemblable. Les secousses d'auparavant reprirent de plus belle et ils aperçurent avec une horreur non dissimulée un nombre important de géants.
-On est foutus, souffla quelqu'un.
-Ressaisissez-vous ! Pas le moment de se morfondre, dit Laura. Armez-vous de vos flingues ! Essayons de regagner le vaisseau en priorité, ou plutôt ce qu'il en reste...

Depuis que Laura avait lancé ces ordres, une vingtaine de minutes s'était écoulée. Michael avait réussi à entrer dans le vaisseau, retombé par bonheur du bon côté. En moins de quelques minutes, il assista à la mort de bon nombre de ses compagnons. Les hommes de glace ne semblaient pas communiquer et détruisaient les hommes comme de vulgaires imposteurs. Très vite, l'équipage avait sombré dans le désespoir le plus profond : leurs armes les touchaient mais ne commettaient aucun dégât. Elles s'avéraient être inutiles. Bien qu'ils ne soient pas vifs, leur taille monumentale leur donnait un avantage irrévocable. Et leur nombre qui augmentait petit à petit n'arrangeait pas les choses.. Michael se reconcentra sur la tâche qu'il avait à accomplir : envoyer un message de détresse aux Terriens, Martiens, Saturniens, voire même aux Mercuriens. Toute aide serait la bienvenue. Il achevait les derniers mots de cet appel quand il ressentit une autre secousse, beaucoup plus forte que la précédente. Un frisson lui parcourut l'échine. Impossible. Je dois faire partir le message tant que je le peux encore ! Il tapa énergiquement sur les touches et appuya sur l'icône "ENVOYER". 7%. Les pas et les tremblements se rapprochaient.. 18%. Il attendait, paralysé par la peur.. 39%. Un cri s'éleva, tout près de lui.. 52%. Il sentit qu'un morceau du vaisseau avait été arraché. Il ferma les yeux et des larmes perlèrent sur ses joues. Il les rouvrit, à contrecoeur. 71%. La coque du vaisseau fut retiré... 76%. Il leva ses yeux emplis de larmes et découvrit un géant. Michael courut à toutes jambes à l'opposé de la pièce et pénétra dans une autre salle. Pris de rage, le géant de glace arracha les restes du vaisseau où s'était précipité Michael. Il le trouva bientôt et leva la jambe pour l'écraser. Michael était soulagé : dans son dernier geste, il avait éloigné le géant de l'ordinateur. Ainsi, le message devrait être parvenu aux autres planètes en toute sécurité. L'attention du géant fut attirée par une lumière clignotante. Intrigué, il s'accroupit et plongea sa tête massive près de l'écran d'ordinateur. On pouvait y lire le message rédigé par Michael :

Expéditeur : Michael Jefferson, membre de l'équipe chargée de la mission 0.1 Xurnaos
Destinataire : Gouvernement Terrien, gouvernement Martien et gouvernement Saturnien
Titre : S.O.S

Jeudi 12/05/2086, 18h48

Catastrophe. Désastre. Troupes anéanties en un instant. Un des rares survivants. Plus pour longtemps. Sommes tombés sur des géants de glace ! Indestructibles. Redoutables. Armes inefficaces. Sont nombreux et lents. Mais environ 30 à 40 mètres de haut ! Saturne, Terre, Mercure, Mars, besoin d'aide. Echec total de l'opération 0.1 Xurnaos.

Plus bas, le message clignotant en rouge qui avait perturbé le géant se fit voir. N'y comprenant rien au langage et ne sentant aucune menace émanant de la faible lumière, le géant se détourna. Sur ce message, les mots suivants en gras clignotaient : "Erreur. Message non transmis".