Il faisait nuit. A l’intérieur de la maison, tous les habitants s’étaient rassemblés dans le salon chauffé par le feu qui ronflait dans la cheminée. La pièce était grande, haute de plafond. Les murs étaient de bois vernis, comme toute la maison et l’escalier. En fait toute la bâtisse correspondait au profil type d’une vieille grande maison des années 1800. Deux personnes, un homme et une femme marqués par l’âge se trouvaient côte à côte sur un large canapé, et deux petites filles aussi semblables l’une à l’autre étaient étendues sur le tapis face à la cheminée en train de jouer. Lorsque 20 heures sonna, le vieil homme ferma son bouquin et se leva.

_Allez les filles, il est temps d’aller dormir. Dit-il
Et comme il l’avait prévu, les deux enfants protestaient. Comme l’hiver dernier où leurs petites filles étaient venues passer leurs vacances chez eux ou même cet été, l’heure du coucher se passait rarement sans petites demandes d’une demi-heure à une heure de plus. Mais lui et sa femme avaient trouvé la solution, et c’est leur grand-mère qui répondit.

_Vous ne voulez pas connaître la suite de l’histoire de papy ? demanda-t-elle avec un sourire.
En effet, pour les convaincre d’aller se coucher, leur grand-père leur racontait une histoire par petits bouts une fois au lit, et étonnamment cela marchait très bien.
Comme prévu les filles perdirent l’envie de protester et après un bisou à leur grand-mère, elles montèrent l’escalier suivies du vieil homme, traversèrent le couloir jusqu’à leur chambre et grimpèrent ensemble sur le lit. L’homme lui, alluma les deux lampes de chevets et éteignit la lumière du plafond. Il s’assit sur le lit face à elles et leur remonta la couverture jusqu’au menton.

_Bien, je vais résumer rapidement le début de l’histoire aujourd’hui et demain on continue.
L’homme se racla la gorge  et commença son histoire comme il avait l’habitude de faire.
_Toutes les histoires commencent par Il Etait Une Fois, dit-il. Mais pas celle-ci. Non. Car même si elle eut lieu il y a longtemps, elle ne prit pas fin et la suite continue de s’écrire. Elle remonte à longtemps, quand la magie existait et que les sorcières étaient traquées et tuées par les chasseurs pour leurs maléfices. Elles vivaient alors dans les bois, dans des villages, bien dissimulées du reste du monde, car elles étaient facilement reconnaissables. Elles avaient toutes de longs ongles coupants, les cheveux semblables à des serpents et des yeux rouges. Pareilles à des démons, elles ne sortaient qu’en de rares occasions une fois la nuit tombée…

_Tu nous l’avais déjà expliqué ça grand-père ! Réagit une des deux filles.
_On veut l’histoire nous ! Ajouta sa jumelle.
_Très bien, très bien. On va en revenir à notre sorcière, c’est bien ça que vous voulez ? Il rit à  l’exclamation de joie de ses petites filles et continua son histoire.
_Bien. Reprit-il. Mais il existait une sorcière qui n’était pas pareille. Elle avait de longs cheveux roux bouclés, des yeux verts et une grande puissance en elle. Sa différence viendrait du fait qu’elle serait seulement à moitié sorcière.  Un soir funeste, son village se fit attaquer par des chasseurs. Elle tenta de s’échapper, de s’enfuir et réussit à sortir du village. Sûrement car elle n’était pas comme les autres, elle était moi ciblée, mais des chasseurs la poursuivaient. Elle courait, encore et encore quand une flèche se planta dans son épaule. Elle tomba et ce fut assez pour que ses poursuivants ne soient qu’à quelques mètres d’elle. De peur elle ferma les yeux. Mais soudai…

_Soudain le loup apparut ! Coupèrent ensemble les enfants.
_Haha, oui. Mais dites donc c’est moi qui raconte ou vous ? Alors, soudain un loup apparut. Il sauta à la gorge du premier homme, le tuant d’un coup de crocs, et s’attaqua alors au deuxième qui était resté figé. Il prit après le poignet de la fille et la força à bouger. Malgré la douleur dans son épaule la fille se releva  et se remit à courir. Le loup la suivait de près et ils s’arrêtèrent une fois sortis des bois. Elle était vivante, seule mais vivante.

La vie dut reprendre et étrangement le loup semblait vouloir rester avec elle. Ils chassaient ensemble et dormaient dans une maison de fortune qu’elle avait construite avec le temps. Seulement le loup n’était pas humain, ne parlait pas et elle se sentait de plus en plus seule. Elle ne pouvait pas prendre le risque d’aller dans d’autres villages ou chercher des sorcières. Et la solitude lui pesa de plus en plus. 
Elle finit par faire une chose interdite par toutes les sorcières. Un soir elle prit la décision de transformer le loup en homme. Ce n’était pas une chose facile mais elle était puissante et réussit.
L’horloge sonna, indiquant 21h et le grand-père décida que c’était assez pour aujourd’hui. Maintenant il fallait dormir.
_Vous aurez la suite demain. Bonne nuit les filles. Et il embrassa chacune d’elles sur le front avant d’éteindre toutes les lumières et de fermer la porte.
~~

Dans le couloir derrière la porte il trouva sa femme, un étrange sourire aux lèvres.
_Des ongles coupants et des cheveux semblables à des serpents, hein ? Tu me ferais presque regretter mes actes tu sais. 
Le vieil homme leva les mains en l’air, et ne put s’empêcher de rire.
_Mais j’ai dit que tu étais différente. Belle et puissante, comme tu l’es toujours. 
Elle rit alors elle aussi, et vint se serrer contre celui qui lui avait sauvé la vie il y a si longtemps.
 
~~

Dans la chambre la lumière s’était allumée, mais étrangement aucune des filles n’avait bougé du lit.
_Ha vivement la suite demain. Dit une des filles. 
_Dis, quand est-ce que grand-père va nous dire qu’il est le loup et que la sorcière n’est autre que grand-mère ? Demanda-t-elle en riant.
_Dans longtemps ! Répondit sa jumelle en pouffant. Et nous alors ? Quand est-ce qu’on lui dira qu’on a hérité des pouvoirs de grand-mère ?   
_Hummm… dans longtemps aussi ! Et elles rirent ensemble un bon moment avant que le sommeil ne les rattrape. 
_Bon j’éteins, bonne nuit sœurette. Et d’un mouvement de bras, la lumière s’éteignit, les plongeant dans le noir. 
_Bonne nuit sœurette.

Texte issu des vérités :

"J’écris en ce jour tout ce que j’ai vu afin que jamais la vérité¹ ne soit reprise et déformée par d’autres car je suis le seul détenteur de celle-ci.
Le grand² est revenu de sa campagne³ en ramenant moult ressources barbares : des épices⁴, des –grandes– reproductrices⁵ [NDLC : l’auteur fait ici référence aux femmes captives au cas où vous ne l’auriez pas deviné, placés entre la nourriture et les objets d’ornement. J’espère qu’il a bien profité de sa vie, seul, puisqu’il n’irait pas discuter avec un ornement.]⁶ et d’objets taillés dans une roche froid.
En entrant dans la ville, il leva le bras et déclara ainsi solennellement « J’ai vaincu les faux dieux⁷ ⁸ »; et les hommes surent qu’ils étaient libres.
Mûthos – Ère de Magellan, 16e nouvelle lune⁵
Afin que jamais la vérité ne soit reprise et déformée par d’autres, car je suis le seul détenteur de celle-ci¹⁰ "

¹NDT : Aark-tor, superlatif de Aark-tir (litt. « Gravé dans le bois »), concept de vérité.
²NDLR : Nom attribué au roi Négus dans les récits d’époque.
³NDA : Campagne de 14 récoltes (NDLR : Il y avait une récolte printanière et 2 récoltes automnales – Cela correspond donc à une période d’environ 5 ans).
⁴NDT : litt. « Nourriture qui n’est pas nourriture », il s’agirait d’épices à postériori même si le terme est un hapax.
⁵NDA : la taille des femmes ramenées était de 1 bambou adulte (NDLR : entre 1m60 et 1m80 comparé au mètre 50 du peuple de l’auteur).
⁶NDAR (Note de l’auteur réel) : Il s’agit ici d’une annotation et non pas d’une légende.
⁷NDA : Contrairement aux vrais dieux tels Iuri dieu de la guerre ou Pheib dieu des pluies.
⁸NDLR : Il s’agissait de peuplades nordiques pratiquant le commerce d’esclave et faisant de fréquentes incursions dans les terres.
⁹NDLR : Aux environ de 521.
¹⁰NDLR : La phrase d’ouverture est reprise en apostille, il peut s’agir d’une signature de l’auteur, ou d’un addendum administratif pour classer le texte.