La voiture vrombissait l'air. Je m'étais habituée à son doux ronron. Je jetai un coup d'oeil dehors. Couleurs ternes. Insipides. Inintéressants. La vue qui s'offrait à moi manquait cruellement de beauté. Des automobiles toutes plus différentes les unes des autres – qui, sans exception, me paraissaient pourtant avoir peu d'intérêt – des collines qui se dressaient, insouciantes, et d'autres monticules qui se succédaient à n'en plus finir. Je voulais quitter au plus vite cette autoroute qui m'oppressait pour me retrouver de nouveau seule, à l'abri de tout cet amas d'êtres humains. Une chanson connue que diffusait la radio me tira brusquement de ma rêverie. Je détournai le regard et portai mon attention sur le cadran de la radio qui affichait 13h14. Je regrettai aussitôt de l'avoir vu. Je croyais que le seuil des 14h était passé.. Devant moi mon père se mit à fredonner l'air de la musique en cours. Tout était si ennuyeux dans cette voiture... Il ne me restait plus qu'une chose à faire dans ces cas-là. La seule alternative pour échapper à cette situation. Je me calai sur la banquette arrière, je prenai ma veste qui reposait sur le siège d'à côté et m'emmitouflai dedans pour qu'elle me tienne bien au chaud. Pourvu que le trajet soit plus rapidement ainsi...

Une douce voix résonne près de moi. J'ai du mal à saisir ce qu'elle me dit car, oui, j'ai comme l'impression qu'elle essaie de me parler. Elle se fait de plus en plus forte. Une légère pression se fait ressentir sur mon épaule. Enfin, je comprends ce qu'il se passe. Ma mère m'intime de me lever. Seulement, je ne veux pas que l'on sache que je ne dors plus.
"-Lara ! Allez réveille-toi, on y est."
Je garde les yeux fermés jusqu'à ce qu'elle abandonne ; je sais que ça ne sera pas long. Après avoir répété mon nom, elle soupire et s'éloigne du quatre-quatre. Dès que ses pas sont hors d'atteinte, j'ouvre les yeux et me redresse. Je n'ai plus beaucoup de temps. Je m'extirpe de cette maudite bolide et atteris sur un sol neigeux. Mes tennis ne vont pas supporter ce que je m'apprête à faire. Cela ne va pas plaire non plus à mes parents. Tant pis. Après tout, depuis le temps que je souhaitais venir ici et sentir la fraîcheur de l'hiver ! Je m'avance pas à pas dans la neige. Je progresse lentement et cela me frustre. Je resserre l'écharpe autour de mon cou avant de mettre mes gants. Mon regard se perd sur le vaste horizon. Au loin, un large champ est recouvert de cette même neige grumeuse et compacte qui se trouve sous mes pieds. Je remarque un tas de poudre blanche qui devait être, quelques jours plus tôt, un bonhomme de neige. Le pauvre ne ressemble maintenant plus à rien. A gauche, j'aperçois l'emplacement qui servait autrefois de camping. Les arbres plus vifs qu'ordinaire avec cette couleur d'un blanc immaculé surplombent le terrain. On aurait dit qu'ils voulaient se refermer sur ce sombre espace et le recouvrir pour le protéger du froid hivernal. Je me tourne un peu plus et tombe sur la vue imprenable des montagnes enneigées. J'observe leur sommet éclatant. J'aimerais les atteindre, me trouver à une telle altitude que le froid me glacerait le sang ! Un peu plus bas, la brume reste devant les flancs de montagnes comme pour me dissimuler ses recoins les plus secrets. Je la vois qui défile doucement, à un rythme régulier, paresseuse et calme. Mon regard descend et se pose sur les nombreuses anfractuosités des pics. Un large sourire apparaît sur mon visage. Ma décision est prise : c'est là que je me rends. Avant de commencer mon ascension, j'estime qu'il vaudrait mieux passer par le pont. Quand bien même le cours d'eau est gelé, je préfère ne pas m'y risquer. Je m'aventure, mon excitation me fait presque courir pour parvenir aux pieds des montagnes. J'aurais tendance à mépriser les personnes qui piètinent les chemins : cela retire tout son charme au paysage. Malgré tout, à cet instant précis, je les remercie puisque leurs empreintes ont pu m'aider à aller plus vite. Mon souffle s'accélère et de la buée s'échappe de ma bouche. Je m'arrête un moment. Tout est si silencieux... Je perçois faiblement ma respiration saccadée. Je ferme les yeux pour essayer de distinguer les éventuels bruissements de rongeurs ou simplement pour écouter la douce mélodie du vent.. Vouu.. Vouuhh.. Une violente bourrasque manque de me faire tomber. Je reprends mes esprits et me remets en route. Lorsque j'arrive au bord du ravin, je suis capable de discerner plus nettement les flancs des montagnes alentours. Je balance ma tête en arrière pour sentir le froid parcourir tout mon être. Enfin libérée de toutes les contraintes pénibles du quotidien... Demeurer  ainsi, épanouie, en pleine nature... Un petit flocon vient se poser sur mon front, je le sens fondre au contact de ma peau. Déjà disparu, il s'est changé en une gouttelette qui glisse et qui vient rafraîchir mes cheveux. Je tends les mains pour recevoir la neige qui tombe. Mon regard émerveillé se porte sur les innombrables petits flocons recueillis. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire sous mon écharpe. Je remercie la nature de m'avoir permis d'assister à ce phénomène. Au final, c'est vraiment beau la neige.

Je m’appelle  Annie. J’ai 16 ans et j’habite dans un petit quartier calme au nord de la France. Je suis une ado comme les autres, mais pour mieux me connaître vous devez savoir des choses sur moi : les gens polis diront que je suis "enrobée" ; Autant nommer un chat un chat, je suis bien grassouillette. En plus de cela j’ai ce qu’on pourrait qualifier de "mauvais caractère" ; je suis ronchonne, principalement quand il fait froid. Ah c’est aussi quelque chose à savoir : je hais le froid. Malheureusement on a rendez-vous avec lui la moitié de l’année. Je n’ai pas toujours été grognonne, mais à force d’entendre des «  roule bouboule » et « Attention la chaise d’Annie va se casser » On a plus envie de faire ami-ami avec le monde. Je ne suis pas asociale pour autant, je cherche juste de bonnes personnes.

Il est 6h30 et la neige avait formé une couche épaisse à l’extérieur. C’est l’heure d’aller au lycée et je devais m’aventurer dans toute cette neige qui n’avait pas été déblayée… car évidemment le déblayeur de la mairie était en panne.
-Ca commence bien, marmonnais-je en fourrant un pied dans 10 cm de neige. Ce que c’était froid ! Je vous avais déjà dit que je haïssais le froid ? J’avais beau porter une chemise, deux pulls et mon manteau, je sentais ma température corporelle dégringoler.  Allez, de toute façon on n’a pas le choix… 
J’ai bien parcouru trois centaines de mètres dans la neige avec la compagnie de mon nez glacé. J’essayais de marcher dans les pas des autres personnes mais je ne sais pas si je recommande cette technique. 
Devant un café je remarque à plusieurs mètres de moi un garçon d’environ mon âge en train de jongler entre des feuilles noircies d’encre. En fait je le connaissais ce garçon, c’est Thomas, de la même classe que moi. Par contre on ne s’est jamais vraiment parlés. Une rafale de vent fait s’envoler deux feuilles qui arrivent droit sur moi. Option 1 : les esquiver, option 2 : être gentille et les attraper. Comme je suis ronchonne mais pas méchante j’opte pour la 2 et les lui ramène. 
-Merci ! s’exclama le garçon. Dis je t’ai déjà vue, on est dans la même classe non ?
-Oui, je m’appelle Annie.
-Thomas. Hum… Thomas sembla hésiter à dire quelque chose, puis se lança : je t’offre un chocolat chaud ? Je te dois bien ça pour avoir sauvé mon devoir ! C’est le café de mon père, dit-il en indiquant l’établissement derrière lui.
L’hésitation fut courte, tout mon corps se réjouissait à l’idée d’une boisson chaude.
-D’accord, de toute façon on a encore le temps. 
Le café n’était pas encore ouvert. Thomas nous servit deux chocolats avec des biscuits et on discuta un peu de son devoir rescapé - devoir que je n’ai pas fait et que je réalisai sur place avec son aide - et son père vint nous prévenir qu’il est l’heure d’y aller si on ne voulait pas être en retard.
-Je vous conduis en voiture, en route ! lança son père alors qu’on rangeait nos affaires. 
Pour moi c’était le bonheur ! Un chocolat, un peut-être nouvel ami et la marche dans la neige dispensée. 

Il n’a pas arrêté de neiger, et croiser Thomas au café de son père, boire un chocolat pour se réchauffer et réviser avant d’aller en cours a fini par devenir une habitude. Son père nous conduisait et souvent me ramenait avec eux pour que je n’ai pas à marcher dans cette neige. J’ai fini par passer la plus grande partie de mes journées chez lui à étudier puis jouer avant de rentrer le soir.
 
Aujourd’hui était une nouvelle journée… et qui commence bien ! Vous ne devinerez jamais, il ne neige plus ! Bah quoi je l’ai dit je n’aime pas la neige. Bref vu que la température semble avoir un peu grimpé j’opte pour supprimer un pull de ma combinaison de 3 vêtements + manteau. Soyons fou ! Et c’est dans ce bon état d’esprit, pour une fois tiens, que je me dirige vers le café sur le chemin du lycée. Je vois Thomas dehors adossé au mur qui vient à ma rencontre une fois qu’il m’a aperçue.
-Il n’y a plus de neige ! lançai-je joyeusement
-Tu as vu, j’aurais aimé qu’elle reste plus longtemps, répondit Thomas à mon plus grand étonnement.
-Quoi mais… Moi je déteste la neige. C’est froid, gênant, froid et froid.
Thomas partit dans un rire à mes raisons et on continua notre chemin tranquillement. A quelques pas du lycée Thomas se retourne vers moi et me dit :
-Tu as dit que tu n’aimais la neige. Mais sans la neige je serais parti plus tard le jour où on s’est croisés. Donc on ne se serait pas rencontrés, pas passés les journées ensemble et on ne serait tout simplement pas devenus amis. Peut-être que c’est une bonne raison pour changer ton avis, tu ne trouves pas ?
Sans la neige… Oui peut-être, après tout si j’ai accepté ce chocolat c’est car je mourrais de froid aussi. D’un côté ce n’est qu’un concours de circonstances, mais elles ont été favorisées par la neige.    
Ok elle est chiante est froide. Et un peu trop blanche. Mais elle m’a offert un ami sympa. 

Oui au final, c’est vraiment beau la neige.