Auteur: Eugène Ionesco Genre: Théatre de l'absurde Éditeur: Collège de Pataphysique Parution: 1950
Quatrième de couverture:
Qu'importe que la cantatrice soit chauve puisqu'elle n'existe pas ! Dans cette petite "anti-pièce", première oeuvre dramatique de Ionesco, il n'est fait référence que deux fois à la cantatrice chauve, personnage dont on ne sait rien et qui n'apparaît jamais.
Il s'agit bien là d'un Nouveau Théâtre, celui qui donne naissance à des pièces sans héros, sans sacro-sainte division en actes, sans action, sans intrigue, avec en guise de dénouement la quasi-répétition du début, et dont les traditionnelles retrouvailles sont remplacées par une parodie de reconnaissance d'une invraisemblance ahurissante. Les personnages, tout droit sortis d'un manuel de langue, ne s'expriment que par clichés, disent une chose pour aussitôt affirmer son contraire, trouvent une jubilation idiote à employer proverbes et maximes tout en les pervertissant sans même s'en apercevoir...
Cependant, très vite, le langage s'"autonomise", se libère de toute contrainte, et l'on assiste avec plaisir au divorce du sens et du verbe. Il en résulte un petit chef-d'œuvre comique, traité sur l'absurde, variation sur la bêtise et paradoxalement éloge du pouvoir du langage.
Genèse:
L'idée de la pièce est venue à Ionesco lorsqu'il a essayé d'apprendre l'anglais par le biais de la méthode Assimil. Frappé par la teneur des dialogues, à la fois très sobres et étranges mais aussi par l'enchaînement de phrases sans rapport, il décide d'écrire une pièce absurde intitulée l'anglais sans peine. Ce n'est qu'après un lapsus, lors d'une répétition, que le titre de la pièce est fixé : l'acteur qui jouait le pompier devait parler, dans une très longue tirade, d'une institutrice blonde… et au lieu de dire « une institutrice blonde » a dit « une cantatrice chauve » qui devint le titre de la pièce.
Ionesco s'inspire de la méthode Assimil, mais dans Notes et contre-notes, il explique que l'absurde est venu se surajouter à la simple copie du manuel d'apprentissage. L'absurde devient le moteur de la pièce, car Ionesco a le projet de “grossir les ficelles de l'illusion théâtrale”.
Source: Wikipédia
Extraits:
M. Martin, d'une voix traînante, monotone, un peu chantante, nullement nuancée. - Mes excuses, Madame, mais il me semble, si je ne me trompe, que je vous ai déjà rencontrée quelque part.
Mme Martin - A moi aussi, Monsieur, il me semble que je vous ai déjà rencontré quelque part.
M. Martin - Ne vous aurais-je pas déjà aperçue, Madame, à Manchester, par hasard ?
Mme Martin - C'est très possible ! Moi, je suis originaire de la ville de Manchester ! Mais je ne me souviens pas très bien, Monsieur, je ne pourrais pas dire si je vous y ai aperçu ou non !
M. Martin - Mon Dieu, comme c'est curieux ! Moi aussi je suis originaire de la ville de Manchester, Madame !
Mme Martin - Comme c'est curieux !
M. Martin - Comme c'est curieux !... Seulement moi, Madame, j'ai quitté la ville de Manchester il y a cinq semaines environ.
Mme Martin - Comme c'est curieux ! Quelle bizarre coïncidence ! Moi aussi, Monsieur, j'ai quitté la ville de Manchester il y a cinq semaines environ.
M. Martin - J'ai pris le train d'une demie après huit le matin, qui arrive à Londres un quart avant cinq, Madame.
Mme Martin - Comme c'est curieux ! Comme c'est bizarre! et quelle coïncidence ! J'ai pris le même train, Monsieur, moi aussi !
M. Martin - Mon Dieu, comme c'est curieux! Peut-être bien alors, Madame, que je vous ai vue dans le train?
Mme Martin - C'est bien possible, ce n'est pas exclu, c'est plausible et, après tout, pourquoi pas ! Mais je n'en ai aucun souvenir, Monsieur.
M. Martin - Je voyageais en deuxième classe, Madame. Il n'y a pas de deuxième classe en Angleterre, mais je voyage quand même en deuxième classe.
Mme Martin - Comme c'est bizarre! Que c'est curieux! et quelle coïncidence! Moi aussi, Monsieur, je voyageais en deuxième classe.
M. Martin - Comme c'est curieux! Nous nous sommes peut-être bien rencontrés en deuxième classe, chère Madame.
Mme Martin - La chose est bien possible et ce n'est pas du tout exclu. Mais je ne m'en souviens pas très bien, cher Monsieur !
M. Martin - Ma place était dans le wagon numéro huit, sixième compartiment, Madame !
Mme Martin - Comme c'est curieux! ma place aussi était dans le wagon numéro huit, sixième compartiment, cher Monsieur !
M. Martin - Comme c'est curieux et quelle coïncidence bizarre ! Peut-être nous sommes-nous rencontrés dans le sixième compartiment, chère Madame ?
Mme Martin - C'est bien possible, mais je ne m'en souviens pas, cher Monsieur !
M. Martin - A vrai dire, chère Madame, moi non plus je ne m'en souviens pas, mais il est possible que nous nous soyons aperçus là, et si j'y pense bien, la chose me semble même très possible.
Mme Martin - Oh ! Vraiment, bien sûr, vraiment, Monsieur !
M. Martin - Comme c'est curieux !... J'avais la place numéro trois, près de la fenêtre, chère Madame.
Mme Martin - Oh, mon Dieu, comme c'est curieux et comme c'est bizarre, j'avais la place numéro six, près de la fenêtre en face de vous, cher Monsieur.
M. Martin - Oh, mon Dieu, comme c'est curieux et quelle coïncidence !... Nous étions donc vis-à-vis, chère Madame ! C'est là que nous avons dû nous voir !
Mme Martin - Comme c'est curieux ! C'est possible mais je ne m'en souviens pas, Monsieur !
M. Martin - A vrai dire, chère Madame, moi non plus je ne m'en souviens pas. Cependant, il est très possible que nous nous soyons vus à cette occasion.
Mme Martin - C'est vrai, mais je n'en suis pas sûre du tout, Monsieur.
M. Martin - Ce n'était pas vous, chère Madame, la dame qui m'avait prié de mettre sa valise dans le filet et qui ensuite m'a remercié et m'a permis de fumer ?
Mme Martin - Mais si, ça devait être moi, Monsieur! Comme c'est curieux, comme c'est curieux, et quelle coïncidence !
M. Martin - Comme c'est curieux, comme c'est bizarre, quelle coïncidence ! Eh bien alors, alors, nous nous sommes peut-être connus à ce moment-là, Madame ?
Mme Martin - Comme c'est curieux et quelle coïncidence ! C'est bien possible, cher Monsieur! Cependant, je ne crois pas m'en souvenir.
M. Martin - Moi non plus, Madame.
Un moment de silence. La pendule sonne 2-1.
M. Martin - Depuis que je suis arrivé à Londres, j'habite rue Bromfield, chère Madame.
Mme Martin - Comme c'est curieux, comme c'est bizarre ! moi aussi, depuis mon arrivée à Londres j'habite rue Bromfield, cher Monsieur.
M. Martin - Comme c'est curieux, mais alors, mais alors, nous nous sommes peut-être rencontrés rue Bromfield, chère Madame.
Mme Martin - Comme c'est curieux, comme c'est bizarre ! C'est bien possible après tout ! Mais je ne m'en souviens pas, cher Monsieur.
M. Martin - Je demeure au numéro dix-neuf, chère Madame.
Mme Martin - Comme c'est curieux, moi aussi j'habite au numéro dix-neuf, cher Monsieur.
M. Martin - Mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, nous nous sommes peut-être vus dans cette maison, chère Madame ?
Mme Martin - C'est bien possible, mais je ne m'en souviens pas, cher Monsieur.
M. Martin - Mon appartement est au cinquième étage, c'est le numéro huit, chère Madame.
Mme Martin - Comme c'est curieux, mon Dieu, comme c'est bizarre ! et quelle coïncidence! moi aussi j'habite au cinquième étage, dans l'appartement numéro huit, cher Monsieur.
M. Martin - Comme c'est curieux, comme c'est curieux, comme c'est curieux et quelle coïncidence ! Vous savez, dans ma chambre à coucher j'ai un lit. Mon lit est couvert d'un édredon vert. Cette chambre, avec ce lit et son édredon vert, se trouve au fond du corridor, entre les water et la bibliothèque, chère Madame !
Mme Martin - Quelle coïncidence, ah mon Dieu, quelle coïncidence ! Ma chambre à coucher a elle aussi un lit avec un édredon vert et se trouve au fond du corridor, entre les water, cher Monsieur, et la bibliothèque !
M. Martin - Comme c'est bizarre, curieux, étrange! alors, Madame, nous habitons dans la même chambre et nous dormons dans le même lit, chère Madame. C'est peut-être là que nous nous sommes rencontrés !
Mme Martin - Comme c'est curieux et quelle coïncidence! C'est bien possible que nous nous y soyons rencontrés, et peut-être même la nuit dernière. Mais je ne m'en souviens pas, cher Monsieur.
M. Martin - J'ai une petite fille, ma petite fille, elle habite avec moi, chère Madame. Elle a deux ans, elle est blonde, elle a un oeil blanc et un oeil rouge, elle est très jolie, elle s'appelle Alice, chère Madame.
Mme Martin - Quelle bizarre coïncidence! Moi aussi j'ai une petite fille, elle a deux ans, un oeil blanc et un oeil rouge, elle est très jolie et s'appelle aussi Alice, cher Monsieur!
M. Martin, même voix traînante, monotone. - Comme c'est curieux et quelle coïncidence! et bizarre! C'est peut-être la même, chère Madame!
Mme Martin - Comme c'est curieux! C'est bien possible, cher Monsieur.
Un assez long moment de silence... La pendule sonne vingt-neuf fois.
M. Martin, après avoir longuement réfléchi, se lève lentement et, sans se presser, se dirige vers Mme Martin qui, surprise par l’air solennel de M. Martin, s'est levée, elle aussi, tout doucement; M. Martin a la même voix rare, monotone, vaguement chantante. - Alors, chère Madame, je crois qu'il n'y a pas de doute, nous nous sommes déjà vus et vous êtes ma propre épouse... Élisabeth, je t'ai retrouvée !
Mme Martin s'approche de M. Martin sans se presser. Ils s'embrassent sans expression. La pendule sonne une fois, très fort. Le coup de pendule doit être si fort qu'il doit faire sursauter les spectateurs. Les époux Martin ne l'entendent pas.
Mme Martin - Donald, c'est toi, darling !
Ils s'assoient dans le même fauteuil, se tiennent embrassés et s'endorment. La pendule sonne encore plusieurs fois.
La pièce:
Aelanne
Sexe : Messages : 3548 Date d'inscription : 13/06/2011 Localisation : Dans le TARDIS
par CruiseEnlivened le Dim 15 Juin 2014, 19:13
MON DIEU ! Comment j'ai fait pour passer à coté d'un topic concernant mon dieu littéraire ! Bon, entre nous, c'est pas ma pièce favorite de ce grand monsieur, mais j'ai quand même apprécié l'absurdité totale de cette pièce. Rien n'a de sens, les dialogues s’enchaînent sans cohérence, avec de nombreux jeux de mots. Dans le fond, véritable satire des conversations d'usages, et des conventions sociales, dans la forme, une piece qui arrache des sourires et des rires, que demander de plus ?
CruiseEnlivened
Sexe : Messages : 365 Date d'inscription : 22/06/2013
par Aelanne le Dim 15 Juin 2014, 20:09
J'avoue que ce n'est pas ma pièce préférée (j'adore Rhinocéros) mais je trouve qu'elle décrit bien l'univers Ionesco-esque ^^
Aelanne
Sexe : Messages : 3548 Date d'inscription : 13/06/2011 Localisation : Dans le TARDIS
par CruiseEnlivened le Dim 15 Juin 2014, 20:24
Rhinocéros aura été mon gros coup de coeur également ! Mais tout à fait, c'est tellement représentatif de ce qu'il a pu faire. Après, j'conseillerais peut être pas de débuter l'absurde avec cette oeuvre, ça reste assez spéciale, et faut réussir à apprécier :p
CruiseEnlivened
Sexe : Messages : 365 Date d'inscription : 22/06/2013
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La cantatrice chauve - Ionesco
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